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Biographie de Serge
Joncour
Né en 1961 à Paris d’une famille lotoise, Serge Joncour a pratiqué de nombreux métiers et a beaucoup
voyagé.
Il s’est lancé dans l’écriture après un court séjour en
faculté de philosophie.
Il publie son 1er
roman Vu en 1998, à 37 ans, puis L’idole qui sera adapté au cinéma en 2012. Cette même année, il écrit le
scénario Elle s’appelait Sarah, roman
de Tatiana de Rosnay.
En 2015, son roman L’écrivain
national reçoit un prix et en 2016, Repose toi sur moi reçoit le prix Interallié. Avec le titre Chien-loup, il a reçu le prix du roman écologique.
Avec son dernier Livre Nature Humaine, il reçoit le prix Femina en 2020.
Ses livres sont traduits dans quinze langues.
Les photos de S. Joncour
montrent un homme bien sympathique, on l’imagine ermite, bûcheron, homme des bois. Les vidéos montrent son attachement à la terre du lot, cette
terre qu'il décrit si bien dans ses
livres. Son souci est de préserver la
nature qui nous entoure.
L’Ecrivain National -publié le 27/08/2014-
Dans ce livre, S. Joncour déroule une histoire à haute tension à la
Chabrol et l’assassin ne sera pas celui qu’on croit.
Le héros de l’histoire, écrivain national et prénommé Serge
comme l’auteur, s’installe en résidence dans une petite ville du centre de la
France, où il est invité par un couple de libraires. Il doit promouvoir la région et animer des ateliers d’écriture.
Il découvre un fait divers dans la gazette locale, un vieux maraîcher très
riche à la retraite a disparu, un jeune couple de marginaux est soupçonné de meurtre.
La photo de Dora, parue dans le journal, le fascine et il va mener sa propre enquête, dans l’espoir de se rapprocher de cette
magnétique jeune femme, sous le regard suspicieux des habitants. Tous les personnages qui gravitent autour
de l’écrivain sont très bien campées, particulièrement les libraires, le
maire, l’hôtelière, Dora, etc.
Ce roman facile à lire et très vivant, est rempli de scènes cocasses comme celle de
l’atelier d’écriture pour les illettrés et celle des obligations, auxquelles l’écrivain
doit se soumettre. S. Joncour souligne
que le fait divers est le point de départ pour de nombreux écrivains, ils
mélangent leur vécu et la fiction, c’est pourquoi, on qualifie leur ouvrage
d’autofiction.
Nature Humaine -paru le 19/08/2020-
Ce roman couvre trois décennies de notre vie commune, de
l'été 1976 et sa grande sécheresse, à l'aube de l'an 2000, lors de la terrible
tempête du dernier Noël du siècle. Pour l'auteur, cet événement commun fut
perçu comme un signe et l'idée de ce roman lui est apparue.
Alexandre a grandi dans la ferme familiale qu'il va reprendre
à son compte, aidé d'un baccalauréat agricole. Ses trois sœurs sont parties
vers les grandes villes et vers des métiers
intellectuels ou culturels.
Nature humaine parle d'une mutation de la société,
de combats d'hommes et de femmes pour sauver la campagne française tout en
espérant un modèle social nouveau. S. Joncour nous rappelle les luttes pour
préserver le Larzac, les oppositions au nucléaire, en particulier à la
construction de la centrale de Golfech, combats où Alexandre se trouve mêlé
malgré lui. Et puis il y a Constanze, cette jeune étudiante allemande de l’est,
dont il tombe amoureux et qu'il retrouve de temps à autre. Constanze rêve d'un monde meilleur jusqu'à s'engager
dans l'humanitaire.
Chaque période décrite, apporte son lot de souvenirs qui parlent à chacun :
les grandes surfaces juste sorties de terre (Mammouth qui écrase les prix) et
qui allaient provoquer une mutation sociétale énorme jusqu'à pousser les
exploitations agricoles à s'agrandir et à s'endetter, les meetings de
Mitterrand jusqu'au soir de son élection, le Minitel, l'odeur de patchouli de
Constanze, les glaces Kimpouss qui coulaient sur nos doigts poisseux, le jambon
sous plastique qui remplaça celui goûteux que l'on faisait à la ferme, le
développement des autoroutes et leurs conséquences à l'échelle humaine, la
catastrophe de Tchernobyl, ... Donc, la
promesse d'un monde nouveau plus joyeux qui s'amenuise au fur et à mesure que
l'an 2000 approche.
S. Joncour montre
également la fracture entre la ville et la campagne, il interroge les choix politiques ou sociétaux
qui ont été faits sans prendre parti. Pour lui, nos émotions viennent d'un
savant mélange entre notre vécu intime et celles suscitées par les événements
du monde.... Et ce roman fait remonter les deux dans la conscience du lecteur.
Extraits :
1/ (page 191) «Juste
avant vingt heures, le silence se fit sur le plateau, et là il y eut un
décompte comme pour les fusées de cap Canaveral. Ensuite le sommet d'un crâne
commença de se dessiner comme sur l'écran d'un Minitel, une calvitie qui
pouvait être aussi bien de gauche que de droite, pendant deux secondes, la
France resta le cul entre deux chauves, et finalement c'est le visage de
François Mitterrand qui apparut, constitué de milliers de petits points
électroniques, bleus, blancs, rouges. Dans la maison, tout comme à la télé, il
y eut un blanc. Un silence. Puis très vite l'image bascula sur une caméra qui
devait être en direct rue de Solferino, et là, pour le père ce ne fut plus
supportable de voir ça, cette ébriété qui collait à tous les visages, des
hilares encombrés de rose qui se mettaient à s'embrasser, se piquant sans doute
avec les épines, s’étreignant en se faisant mal. Le père se leva pour éteindre
la télé mais Vanessa et Agathe voulaient regarder, tout comme la mère
d'ailleurs, qui disait qu'on n'en est plus à une catastrophe près. Le père
referma la petite porte des commandes de la télévision, comme s'il voulait en
voler la clé, puis, de dépit, il baissa juste le son et sortit dans la cour.
»
2 / (page 257) «Édouard ne dit plus rien. Il ne s'était
jamais figuré cela en roulant sur une autoroute, il n'avait jamais pensé aux
milliers de petits désastres que ça avait dû occasionner, chaque kilomètre
d'autoroute recouvrait mille drames, des fermes coupées en deux, des
exploitants expulsés, des forêts déchirées en deux et des maisons sacrifiées,
des chemins coupés net et des rivières détournées, des nappes phréatiques
sucées... Alors il en resta là, mais surtout il ravala la réflexion qu'il
s'était faite tout le long de l'interminable nationale 20, et ensuite en
roulant sur ces petites route, parce que c'est tout de même un sacré parcours
de venir depuis Paris jusqu'ici, et une autoroute ça ne ferait pas de mal à la
région, voilà ce qu'il s'était dit. »
Corinne
Anne rajoute un argumentaire sur le roman Nature Humaine :
Souvenirs malheureux qui me reviennent à la mémoire : le Larzac, la marée noire de l’Erika, le début
du SIDA, etc.
Mais aussi les souvenirs heureux : les pattes d’éph, les maxi-manteaux pour ce qui est de la mode, pour
les odeurs, le patchouli et le santal, les speakers de l’époque (Claude
Sérillon et Bernard Rapp), les indicatifs TV, les séries TV (l’homme à la
péniche, Arsène Lupin, chapeau melon et bottes de cuir), les tubs sur lesquels
on a dansé (CarelessWhisper de Georges Michaël
cité dans le roman), les groupes (Nirvana, Pink Floyd), les meubles en formica qui reviennent à la mode (vintage), etc.
Les progrès : naissance de l’Europe et du libéralisme,
les premiers pas de l’homme sur la lune en 1969.
Les dérives : la course à la mondialisation avec le
développement de la culture intensive et les animaux élevés en batterie, les
veaux aux hormones.
Ce roman est très
agréable à lire, très bien documenté. Il est agrémenté de passages très drôles (histoire
du taureau page 247).
Des passages réalistes,
émouvants et poétiques (voir le passage sur l’oncle Lucien pages 98/99 et la promenade de la mère dans
ses terres pages 138/140). Ce roman est à la fois une ode à la nature et à l’humain d’où son
beau titre. Comme dans ses autres romans, on retrouve le même genre de
personnages attachés à leur terroir. S. Joncour dit lui-même à propos de Nature humaine que si le livre était sorti l’année d’avant, on n’aurait vu qu’un type qui travaillait la
terre dans une campagne à laquelle on ne faisait pas trop attention, alors que,
avec le confinement, il prend une autre dimension, on s’immerge dedans avec une
soif de retour à la terre.
L’Amour sans le faire -publié le 22/08/2012-
Après dix ans
d’absence, Franck revient à la maison de
ses parents. Il quitte la ville pour retourner vers son passé, sa campagne
natale dans le Lot. L’histoire se déroule dans cette ferme perdue au beau
milieu d’une région vouée à l’agriculture et dont on devine que les
lendemains seront difficiles.
«On ne refait pas sa vie, c’est juste l’ancienne sur laquelle
on insiste», pense Franck en arrivant à la ferme.
Il y retrouve sa
belle-sœur, Louise, femme de son jeune frère Alexandre (mort dans un accident
de chasse.) qui vient de s’y rendre elle aussi, pour retrouver son fils, Alexandre, (petit être prénommé
ainsi en mémoire d’Alexandre son père) qui habite avec ses grands-parents à
l’année.
L’été sa mère vient comme prévu le retrouver. C’est
Alexandre, le moteur du roman, en reliant tous les personnages. Il tient une place
essentielle dans le livre. Sa présence, permet d’apaiser les dissensions entre
eux. Ce n’était donc pas prévu, qu’au même moment, et sans prévenir personne,
cet oncle Franck décide de venir renouer avec ses racines.
Ce retour au passé après sa rupture, révèle un conflit de
génération avec son père. Le fils qui devait reprendre la ferme étant décédé, c’est
à lui, Franck, de la reprendre. Mais Franck est sorti du schéma familial, il est
parti de la ferme. Sauf que, lorsque l’on sort du schéma familial, cela relève
de la trahison affective, sociale et historique. Les deux hommes sont dans l’incapacité
de communiquer, de partager. La reprise du contact est impossible entre les
deux. L’absence de verbalisation
empêche toute cicatrisation.
Le jeune frère décédé,
a laissé des empreintes dans chaque pièce et toute cette famille nostalgique, semble prostrée et figée dans le souvenir. Chacun
y cherche ses marques dans les gestes du quotidien.
Le temps a passé, la
ferme familiale a vieilli, mais ces retrouvailles inattendues vont bouleverser
le cours des choses. Franck et Louise abîmés par la vie, se parlent peu, mais
semblent se comprendre.
(Extrait du livre, page 221) « Ne pas pouvoir s’aimer, c’est peut-être encore plus fort que de s’aimer
vraiment (…) l’amour sans y toucher, l’amour chacun le garde pour soi, comme on
garde soi sa douleur, une douleur ça ne se partage pas, une douleur ça ne se
transmet pas par le corps, on n’enveloppe pas l’autre de sa douleur comme on le
submerge de son ardeur. C’est profondément à soi une douleur. L’amour comme une
douleur, une douleur qui ne doit pas faire mal. ».
Dans le silence de cet été chaud et ensoleillé, autour de cet
enfant de cinq ans, «insister» finit par ressembler, tout simplement, à la vie
réinventée.
J’ai lu ce roman en
une nuit, tant l’écriture est facile et
fluide. J’ai bien aimé cette histoire à
la fois simple et complexe vu le
contexte, mais aussi délicate, toute en
nuances et émotions. Pudique, sensuel, profondément humain, S. Joncour dépeint en finesse et avec beaucoup de
tendresse l’âme humaine qui s’éveille à la vie,
un amour non réalisé mais ressenti jusqu’au plus intime. Il nous fait pénétrer
dans l’univers brûlant des sentiments retenus.
Conclusion : Quel bonheur d’avoir pu découvrir cet
auteur, nous attendons avec impatience la suite des aventures d’Alexandre.
Michelle