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samedi 28 décembre 2019

BELOVED de Toni MORRISON



Toni Morrison née le 18 février 1931 à Lorain dans l'Ohio et morte à New York le 5 août 2019.


En novembre 2019, nous avons voulu rendre  hommage

à cette romancière.



Fille d’ouvriers, elle a été romancière, essayiste, critique littéraire dramaturge, librettiste, professeur de littérature et éditrice américaine. Elle a été lauréate du prix Pulitzer en 1988 et du prix Nobel de littérature en 1993.
Elle est à ce jour la huitième femme et le second auteur afro-américain à avoir reçu cette distinction. Toute sa vie, elle a défendu la cause des opprimés.


Dans L’œil bleu, elle raconte son enfance, elle avait déjà le sentiment d’appartenir à une race inférieure, on y retrouve l’écriture violente de Faulkner qui l’a influencée.

Elle emploie le terme imagé de femmes ‘’sans peau’’ pour qualifier les femmes noires, c’est-à-dire invisibles, rejetées, elle reprendra ce terme dans d’autres livres. 


Son livre, home  le retour au pays d’un jeune soldat noir, traumatisé après avoir fait  la guerre de Corée (1950-1953) et  qui parcourt  les Etats Unis à la recherche de sa sœur. Celle-ci a été abusée par un médecin mais s’en sortira grâce à une rebouteuse. 





Un roman dont les chapitres sont courts et qui donne la parole à chacun des personnages qui deviennent très attachants. Un roman difficile à comprendre et dur mais un bel hommage à tous les opprimés.






Un autre roman un don 


qui  se passe au 17ème siècle et traite essentiellement de la servitude  que de l’esclavage, écrit comme un puzzle, dont il faut assembler les pièces.














Autre roman  love  est une saga familiale où se mêlent amour et scène de viol, une étude sociale avec une multitude de personnages complexes, mais très bien décrits et où la parole est enfin libérée.






Nous nous attacherons plus particulièrement au roman BELOVED écrit à 56 ans et qui a rencontré un énorme succès. Inspiré d’un fait réel survenu en 1856, Beloved exhume l’horreur et la folie d’un passé douloureux. Toni Morrison a reçu en 1993 le prix Nobel de littérature pour ses romans caractérisés par une force visionnaire et une portée poétique.

Le roman se situe juste après  la guerre de Sécession,  dans les états du sud (les états du sud esclavagistes étaient opposés aux états du nord abolitionnistes).

A travers ce livre, Toni Morrison raconte le vécu de ses grands parents. Elle n’a pas de haine, ne l’ayant pas vécu directement, elle veut juste comprendre  pourquoi.  Comme le prisonnier dans le livre si c’est un homme de Primo Lévi qui est entrain de sucer un glaçon, le garde lui prend et l’homme lui dit « pourquoi ?» et le garde lui répond :  « ici, il n’ya pas de pourquoi ».


(à voir de très belles vidéos sur Toni et le film Beloved

qui complète bien le livre)



La lecture de ce roman est éprouvante par son écriture trouble.

Les phrases sont déstructurées et longues (où est le sujet, le verbe,  le complément ?) comme  sont parfois nos pensées. Il faut relire plusieurs fois des phrases pour les comprendre, cette écriture traduit la souffrance des esclaves.

Le langage est soit familier, soit soutenu et parfois  désuet comme l’est le parler africain.  Ce livre a  dû être difficile à traduire, il a d’ailleurs nécessité le travail deux personnes.

Chaque personnage parle à son tour et ne se nomme pas forcément, les voix se répondent, résonnent ensemble comme les chants polyphoniques corses.

Il y a beaucoup de  retours en arrière,  car la vie des personnages est peuplée de souvenirs, de fantômes. On ne sait pas pour certains personnages s’ils sont blancs ou noirs (voir Payé, Acquitté, Amy) mais on peut le deviner (dans le film, on peut le voir, ceci est sans doute voulu  par l’auteur pour montrer que la couleur de peau ne fait pas l’humain).

Des  noirs ou des animaux ne sont pas appelés par leur prénom par les blancs  mais désignés par leur fonction : « Payé-Acquitté»  « lever-couché », ce que nous trouvons drôle, mais qui est réducteur.

Il y a de très belles images, de très belles descriptions, tous nos sens sont mis en éveil, la nature est toujours présente avec les bouquets de fleurs nécessaires à Sethe pour illuminer les journées, l’arbre refuge que Paul D appelle « Frère».

Les personnages sont attachants :

Baby-Suggs, la belle-mère de Sethe qui a souffert de l’esclavagisme, a été violée plusieurs fois, elle a pu être  rachetée  grâce à son fils  et sera au service de deux blancs, les Bodwin, qui la respecteront et lui donneront une maison où elle accueillera Beloved et ses deux frères puis Sethe avec Denver.

Baby-Suggs a réussi à faire résilience, malgré toute la violence physique et morale  qu’elle a subi de la part des blancs , elle devient même sage et prêche pour ses frères, au milieu de la forêt et leur demande d’accorder de l’importance à leur cœur meurtri qui bat toujours.

A la façon de Jésus, qui multiplie le pain et le vin,  elle leur offrira un festin qui amènera le doute  chez eux, ne serait t’elle pas une sorcière ?

Payé-Acquitté fait traverser la rivière à Sethe et lui permet donc de s’enfuir et  sauve in extremis Denver quand Sethe commet l’irréparable.

Amy  porte bien son prénom, petite sauvageonne, dont on ignore sa couleur de peau et qui aide Sethe à accoucher et à s’enfuir.

Paul D, aime Sethe, il  a vu tout ce que Sethe avait enduré au Bon Abri  ou il travaillait comme esclave  avec elle, il connaît sa force de caractère et l’admire. Il part à sa recherche et la retrouve au bout de plusieurs années. Elle se confie à lui, Il essaye de combattre le fantôme agité de Beloved qui hante la maison et rend la vie impossible à Sethe et Denver. Il découvre avec effroi l’horrible cicatrice marquée dans son dos par des coups de fouets.

Denver, la fille ainée de Sethe vit seule avec sa mère. Elle souffre de  solitude et  sera heureuse de l’arrivée de Beloved qu’elle couvre de tendresse et qu’elle s’accapare.

Mais Beloved devient de plus exigeante et Denver devine que c’est le fantôme de sa sœur réincarnée. Elle se rend compte que Beloved fait trop souffrir sa mère qui ne vit que pour elle. Elle décide de partir travailler pour sortir de cet enfer, prendre du recul  et pouvoir aider sa mère qui dépérit.

Maîtresse Jones, vers qui Denver vient  chercher du soutien, à la fin du roman, lorsqu’elle est désemparée. Cette femme blanche a vu qu’elle était intelligente et apprenait bien,  qu’elle avait une forte personnalité, va l’aider à nourrir les siens, à trouver du travail. Janey, employée de maison des Bodwin partagera des tâches avec elle.

Le groupe de femmes, qui donneront de la nourriture viendront au 124 et pratiqueront une séance d’exorcisme qui fera disparaître Beloved et empêcheront Sethe de tuer le frère Bodwin.


Sethe, personnage central de l’histoire,  bouleversante car à travers  elle, l’auteur  veut nous montrer  les ravages que l’esclavagisme peut  produire chez un être humain :

- souffrance morale : humiliation, perte de la personnalité, réduction de l’homme à l’état d’animal (voir les propos du dénommé Maître d’école).

- souffrance physique (le mors entre les dents qui enlevé laisse une trace, chaînes aux pieds, coups de fouets qui laissent des traces comme l’arbre dans le dos de Sethe (cet arbre qui représente aussi l’arbre de vie, symbolique forte).

Cette  atroce souffrance,  Sethe refuse que ses enfants la vivent, et quand elle voit les deux neveux  de maître d’école, qui lui ont pris son lait en la tétant (scène du film très violente), elle devient folle et veut tuer ses enfants. Elle égorge Beloved qu’elle maintient prostrée contre elle, elle lance Denver que Payé-Acquitté rattrape au vol et ses deux fils survivent, la grand-mère assiste à ce moment de folie dans le film. Par cet acte irraisonné, Sethe veut épargner ses enfants, seul acte où elle conserve encore sa liberté d’agir. A la fin, quand elle verra Le frère Bodwin au 124, qui est blanc, elle croira qu’il leur veut du mal, alors qu’il vient seulement chercher Denver pour qu’elle travaille chez eux. Elle voudra le tuer, le groupe de femmes l’en empêchera. Sethe se sacrifiera pour Beloved pour se racheter, expiera son geste d’infanticide dont elle se sent tellement coupable.



Dans le film, la magnifique Thandie Newton est époustouflante et diabolique dans le rôle de beloved. Cette actrice est métisse alors que l’actrice incarnant Denver est noire. Est-ce voulu pour montrer que Beloved est le fruit d’une noire et d’un blanc ?

Beloved est recueillie par Sethe et Denver, elle n’a pas mangé depuis plusieurs jours et ne parle pratiquement pas, elle est comme à l’état sauvage.

Au début, elle se goinfre,  se laisse dorloter par Sethe et Denver. Beloved parle de mieux en mieux et  se souvient de détails,  comme les boucles d’oreilles qui  ont appartenu à Sethe et celle-ci comprend avec Denver que c’est le fantôme du bébé tué réincarné. Beloved qui se fait comprendre de mieux en mieux devient de plus en plus exigeante et méchante avec Sethe et Denver. 

Elle reproche à Sethe de ne pas s’en être occupée quand elle était petite. Sethe qui a perdu son travail se sacrifie pour Beloved. Plus Beloved grossit, plus Sethe dépérit. En quelque sorte, Beloved se nourrit de sa mère à la façon d’un cannibale (symbole), Denver souffre de cet amour exclusif. Beloved veut tout ce que sa mère possède, y compris l’amour de Paul D qu’elle force  à avoir une relation sexuelle.

Et l’on peut se demander, à la fin du film, quand on voit Beloved  nue, avec son gros ventre sur le perron de la maison, si elle est grosse de toute la nourriture mangée ou si elle est enceinte de paul D.



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Tous les lecteurs du café littéraire ont éprouvé des difficultés à lire les romans de Toni Morrison et certains ont même abandonné la lecture. Pour ceux qui ont persévéré et ont continué jusqu’au bout, ces  lectures ne les ont pas  laissés insensibles.


Anne a beaucoup aimé le livre Beloved car il  mêle réalisme, imaginaire, fantastique, dureté et beauté, les personnages sont  profonds  et émouvants. Elle a eu du mal à se détacher de ce livre et elle précise qu’il faut au moins deux lectures pour en comprendre toute la portée.