Se réunit une fois par mois environ autour d'un livre ou d'un auteur. Soirées à thème, sorties, invitation d'auteurs...

samedi 14 août 2021

Tuer le fils de Benoit SEVERAC

 

Notre rencontre en Visio conférence du 16 Avril 2021

Bien que né à Versailles en 1966, Benoit  SEVERAC   a grandi dans le Comminges où il situe son premier roman Les Chevelues, au temps des romains. Nous l’avions reçu une première fois à cette occasion, en 2009.

Il vit actuellement à Toulouse où il enseigne l’anglais à l’école vétérinaire, cadre qu’il avait  choisi pour son deuxième roman, Rendez-vous au 10 Avril, qui a remporté deux prix.

Il enseigne également aux futurs diplômés de l’école d’œnologie.

C’est un Touche-à-tout qui, entre autres,  a été gardien de brebis dans le Larzac, professeur de judo, cofondateur d’une fanfare rock-latino-jazz et de l’association des «molards» (motards du polar) et même photographe dans l’armée de l’air, etc.

Déjà connu par ses nouvelles, nous avions pu apprécier et se faire dédicacer  Le Canal aux trousses,  joliment illustré par J.J Gelbart. Il est spécialisé dans la littérature noire et policière pour les adultes comme pour les jeunes.

Son roman Silence a obtenu en 2012 le prix de littérature jeunesse de Balma. Notre deuxième rencontre  avec le concours de la librairie Ellipses de Ramonville.

Dans chacun de ses livres, il accorde une grande importance à la psychologie de ses personnages et aborde des thèmes profonds et touchants, comme la drogue dans Silence, les migrants dans une caravane en hiver et la relation père et fils dans tuer le fils que nous venons d’étudier.

Pour son avant dernier livre écrit en collaboration avec Hervé Jubert Wazhazhe, il s’intéresse aux indiens Osages et a été invité dans leur réserve d’Oklahoma.

Certains de ses romans ont été traduits aux Etats Unis ou adaptés au théâtre.

Tuer le fils

Benoit  SEVERAC a animé des ateliers d’écriture en milieu carcéral. Michelle et Pierre nous ayant fait un compte-rendu  détaillé, nous nous en sommes inspirés.

Cette histoire nous a tous captivés ainsi que les personnages très fouillés, qui de plus, sont très attachants.

On voit vivre Cérisol, commandant de SRPJ de Versailles et ses deux associés, Nicodémo et Grospierres, dans leur vie professionnelle et privée, ce qui les rend très réalistes.

Le fils conducteur est le jeune Matthieu Fabas détenu depuis 13 ans pour un crime homophobe qu’il n’a jamais renié et qu’il a commis pour gagner l’estime de son père, lui-même homophobe.

Après la mort de sa mère dans un accident de voiture, a l’âge de 8 ans, il vit seul avec son père qui ne lui témoigne aucune affection et le méprise.

On apprendra, plus tard dans le roman,  que le père et le fils sont atteints d’une malformation rare, la cryptorchidie, le père s’est fait opérer, mais il n’a pas fait opérer son fils, on peut se demander pourquoi ? Il le traite  de « slip vide », ce qui est odieux ! Peut-être lui renvoie-t’il sa propre image douloureuse de stérilité ? Image qu’il refuse en voulant passer pour un gros dur (voir les références de masculinité  du père « Johnny ! ça, c’est un vrai mec ».

Nous poserons la question à Benoit  SEVERAC.

Le seul moment où Matthieu se rapproche de son père, c’est quand il est à l’arrière de sa moto et qu’il peut s’accrocher à lui. Même ce geste d’affection, son père le refusera. Matthieu comprendra alors, que la distance entre eux,  grandira. 

En prison, Matthieu qui avait commencé un journal intime, participe à un atelier d’écriture animé par l’écrivain Cyril Botinoù. Il raconte sa vie avant la prison comme une fiction et que l’écrivain machiavélique et en mal d’inspiration, finira par s’approprier après de multiples rebondissements.

Le lendemain de la libération de Matthieu Fabas, le commandant Cérisol apprend que le père est de celui-ci est mort  et que ce serait un suicide, vu comme on l’a trouvé, mais Cérisol penche plutôt pour un crime maquillé en suicide  et tout porte à croire que c’est l’œuvre de son fils qui sera de nouveau internée.

C’est grâce à la perspicacité de Grospierres, l’intellectuel de l’équipe que le dossier de Matthieu sera rouvert et celui-ci disculpé.

Nous ne dévoilerons pas le dénouement pour les potentiels lecteurs !

Benoit  SEVERAC sait nous tenir en haleine jusqu’à la fin et nous avons tous eu du mal à refermer ce livre.

Comme le dit  Michelle, c’est du très haut de gamme car très bien documenté, au style fluide, donc facile à lire, ne manquant pas d’humour dans la noirceur du roman.

C’est une étude très juste du milieu carcéral, de la vie au sein d’une brigade avec ses tensions et ses plaisirs (Cérisol abuse des confitures et il aura un souci de diabète) les relations complexes entre père et fils, il évoque l’importance de la masculinité pour certains hommes  et de la non acceptation de l’homosexualité ; de très nombreux aspects de la vie sont abordés.

Comme le dit Pierre, l’auteur a eu une excellente idée d’utiliser le cahier d’écriture de Matthieu pour mieux nous décrire qui est réellement cet homme ; on comprend ainsi quelle fut son enfance, vécue dans une misère affective totale

Merci à Pierre que nous avons eu la chance de compter parmi nous et qui fut visiteur de prison pendant de longues années, il a pu nous éclairer sur ce rôle important pour les détenus.

Ces visiteurs bénévoles concourent à les préparer à une future réinsertion comme le font aussi les correspondants épistolaires du courrier de Bovet. Merci à véronique qui en fait partie de nous avoir parlé de l’association et transmis des exemplaires du courrier.



Le résumé de Michelle

Le roman de Benoît Séverac : « Tuer le fils »…est un livre d'une densité psychologique et émotionnelle intense. Tous les personnages nous captent, du début à la fin.

On suit rétrospectivement le parcours du personnage principal : Mathieu Fabas, durant toutes les étapes de sa vie.

Les personnages secondaires sont également magnifiquement incarnés, tout particulièrement l'inspecteur Cérisol (ainsi que ses deux acolytes policiers) ou son épouse, sportive de haut niveau et aveugle.

 

Le sujet du livre, est le parcours du jeune Mathieu, qui a commis l’assassinat d’un « homosexuel »pour montrer à son père qu'il était un homme. Un meurtre gratuit, considéré comme homophobe, dont il n'a jamais renié les faits. Après 13 ans passés derrière les barreaux, il sort enfin de prison.

Mais le père de Mathieu, est retrouvé mort chez lui, et les soupçons se portent immédiatement sur ce fils, sorti de prison la veille.

 

Des années  de prison supportées notamment grâce à un  atelier d’écriture animé par l’écrivain Cyril Botin.

Cet écrivain, on va le comprendre au fil de l’histoire notamment (P. 57) recherche en fait  une idée pour nourrir son prochain livre. Il est donc dépité lorsque l’un des participants lui annonce qu’il ne reviendra pas, car  « il ne veut pas reparler de ce qu’il a fait, il veut juste oublier ! » Seul Mathieu s’investit à fond.

Dans son journal, on distingue deux parties différentes : en italique : la partie lue à voix haute pendant l'atelier, ou divulguée seulement à l'animateur, et l'autre partie destinée à lui-même.

Les extraits sont superbes, dignes et intenses, et expriment bien toute la détresse du jeune homme.

Cerisol et les autres policiers travaillant sur cette affaire, prendront finalement connaissance de ce journal, et découvriront avec surprise,  le cheminement psychologique de Matthieu : son amertume, sa rancœur envers son père, l'amour qu'il lui porte malgré tout, ses efforts pathétiques pour attirer son attention, leur abyssale différence de perception de la vie.

Pour ma part, les fréquentes félicitations  de Cyril Botin sur les qualités d'écriture du journal de Mathieu, ressemblent à de l’auto congratulation, ce personnage m’a paru douteux dès le début.

Dérangée aussi par sa façon ridicule de revêtir un survêtement  pour « se mettre dans la peau » de son futur personnage : « d'extraction très populaire, un peu façon actors studio, si vous voyez ce que je veux dire » (pages 189 et 190). Puis, pages 196, 197,198  celle de fuir le regard du policier à la question « Qu’y a-t-il dans le journal de M. Fabas que vous ne nous dites pas ? », et sa gêne également à l’annonce du prélèvement de ses empreintes digitales. Des doutes sur lui,  mais aucune preuve.

Il faudra toute la constance et persévérance de Grospierre  pour arriver à trouver la faille chez l’écrivain et l’inculper. A partir de la page 249 plusieurs explications d’événements se font jour.  La maladie de Patrick et Mathieu « cryptorchidie » opération du père, mais pas proposée au fils. Révélation sur l’accident qui a été  fatal à la mère de Mathieu etc… Le dénouement ne m'a pas surprise car il est amené, par de subtils indices, mais horrifiée par la justification de l’écrivain : « Je l’ai fait au nom de la littérature… ».

En résumé, le cœur et l'âme de ce roman,  c'est la relation père-fils et toutes les thématiques qui en découlent : l'éducation, la quête d'identité, la virilité, les normes sociales, le regard sur les différences, lorsqu'on ne ressemble pas à ses parents ou aux autres… C'est la collision de tous ces thèmes qui permet de comprendre le pourquoi intime de Mathieu et les raisons du passage à l'acte. Cela sert également à la résolution de l'enquête. Une fois que le lecteur a compris qui était Mathieu, il sait s'il a pu tuer son père ou pas.


Reste que ce roman noir porteur d'humanité et de lumière, oscillant entre force et sensibilité, est remarquable, du très haut de gamme.

Il se lit facilement, il tient en haleine jusqu’à la fin.


Pour clôturer notre rencontre, Pierre a répondu aux diverses questions sur l'activité de "visiteur de prison. Quel débat intéressant !

visiteur de prison


visiteur de prison