Notre rencontre en Visio
conférence du 16 Avril 2021
Bien que né à Versailles en 1966, Benoit SEVERAC
a grandi dans le Comminges où il situe son premier roman Les Chevelues, au temps des romains. Nous
l’avions reçu une première fois à cette occasion, en 2009.
Il vit actuellement à
Toulouse où il enseigne l’anglais à l’école vétérinaire, cadre qu’il avait choisi pour son deuxième roman, Rendez-vous au 10 Avril, qui a remporté
deux prix.
Il enseigne également aux
futurs diplômés de l’école d’œnologie.
C’est un Touche-à-tout qui,
entre autres, a été gardien de brebis
dans le Larzac, professeur de judo, cofondateur d’une fanfare rock-latino-jazz
et de l’association des «molards» (motards du polar) et même photographe dans
l’armée de l’air, etc.
Déjà connu par ses nouvelles,
nous avions pu apprécier et se faire dédicacer Le Canal
aux trousses, joliment illustré par
J.J Gelbart. Il est spécialisé dans la littérature noire et policière pour les
adultes comme pour les jeunes.
Son roman Silence a obtenu en 2012 le prix de
littérature jeunesse de Balma. Notre deuxième rencontre avec le concours de la librairie Ellipses de
Ramonville.
Dans chacun de ses livres,
il accorde une grande importance à la psychologie de ses personnages et aborde
des thèmes profonds et touchants, comme la drogue dans Silence, les migrants
dans une caravane en hiver et la relation père et fils dans tuer le fils que
nous venons d’étudier.
Pour son avant dernier livre
écrit en collaboration avec Hervé Jubert Wazhazhe, il s’intéresse aux indiens
Osages et a été invité dans leur réserve d’Oklahoma.
Certains de ses romans ont
été traduits aux Etats Unis ou adaptés au théâtre.
Tuer
le fils
Benoit SEVERAC a animé des ateliers d’écriture en
milieu carcéral. Michelle et Pierre nous ayant fait un compte-rendu détaillé, nous nous en sommes inspirés.
Cette histoire nous a tous
captivés ainsi que les personnages très fouillés, qui de plus, sont très
attachants.
On voit vivre Cérisol, commandant
de SRPJ de Versailles et ses deux associés, Nicodémo et Grospierres, dans leur
vie professionnelle et privée, ce qui les rend très réalistes.
Le fils conducteur est le
jeune Matthieu Fabas détenu depuis 13 ans pour un crime homophobe qu’il n’a
jamais renié et qu’il a commis pour gagner l’estime de son père, lui-même homophobe.
Après la mort de sa mère
dans un accident de voiture, a l’âge de 8 ans, il vit seul avec son père qui ne
lui témoigne aucune affection et le méprise.
On apprendra, plus tard dans
le roman, que le père et le fils sont
atteints d’une malformation rare, la cryptorchidie, le père s’est fait opérer,
mais il n’a pas fait opérer son fils, on peut se demander pourquoi ? Il le
traite de « slip vide », ce
qui est odieux ! Peut-être lui renvoie-t’il sa propre image douloureuse de
stérilité ? Image qu’il refuse en voulant passer pour un gros dur
(voir les références de masculinité du père « Johnny ! ça,
c’est un vrai mec ».
Nous poserons la question à Benoit
SEVERAC.
Le seul moment où Matthieu
se rapproche de son père, c’est quand il est à l’arrière de sa moto et qu’il
peut s’accrocher à lui. Même ce geste d’affection, son père le refusera. Matthieu
comprendra alors, que la distance entre eux,
grandira.
En prison, Matthieu qui
avait commencé un journal intime, participe à un atelier d’écriture animé par
l’écrivain Cyril Botinoù. Il raconte sa vie avant la prison comme une fiction
et que l’écrivain machiavélique et en mal d’inspiration, finira par
s’approprier après de multiples rebondissements.
Le lendemain de la
libération de Matthieu Fabas, le commandant Cérisol apprend que le père est de
celui-ci est mort et que ce serait un
suicide, vu comme on l’a trouvé, mais Cérisol penche plutôt pour un crime
maquillé en suicide et tout porte à
croire que c’est l’œuvre de son fils qui sera de nouveau internée.
C’est grâce à la
perspicacité de Grospierres, l’intellectuel de l’équipe que le dossier de Matthieu
sera rouvert et celui-ci disculpé.
Nous ne dévoilerons pas le
dénouement pour les potentiels lecteurs !
Benoit SEVERAC sait nous tenir en haleine jusqu’à la
fin et nous avons tous eu du mal à refermer ce livre.
Comme le dit Michelle, c’est du très haut de gamme car
très bien documenté, au style fluide, donc facile à lire, ne manquant pas
d’humour dans la noirceur du roman.
C’est une étude très juste du
milieu carcéral, de la vie au sein d’une brigade avec ses tensions et ses
plaisirs (Cérisol abuse des confitures et il aura un souci de diabète) les
relations complexes entre père et fils, il évoque l’importance de la
masculinité pour certains hommes et de
la non acceptation de l’homosexualité ; de très nombreux aspects de la vie
sont abordés.
Comme le dit Pierre, l’auteur
a eu une excellente idée d’utiliser le cahier d’écriture de Matthieu pour mieux
nous décrire qui est réellement cet homme ; on comprend ainsi quelle fut
son enfance, vécue dans une misère affective totale
Merci à Pierre que nous
avons eu la chance de compter parmi nous et qui fut visiteur de prison pendant
de longues années, il a pu nous éclairer sur ce rôle important pour les
détenus.
Ces visiteurs bénévoles
concourent à les préparer à une future réinsertion comme le font aussi les
correspondants épistolaires du courrier de Bovet. Merci à véronique qui en fait
partie de nous avoir parlé de l’association et transmis des exemplaires du
courrier.
Le résumé de Michelle
Le roman de Benoît Séverac : « Tuer le fils »…est un livre d'une densité psychologique et émotionnelle intense. Tous les
personnages nous captent, du début à la fin.
On suit rétrospectivement le parcours du personnage
principal : Mathieu Fabas, durant toutes les étapes de sa vie.
Les personnages secondaires sont également magnifiquement
incarnés, tout particulièrement l'inspecteur Cérisol (ainsi
que ses deux acolytes policiers) ou son épouse, sportive de haut niveau et
aveugle.
Le sujet du livre, est le parcours
du jeune Mathieu, qui a commis l’assassinat d’un « homosexuel »pour
montrer à son père qu'il était un homme. Un meurtre gratuit, considéré comme
homophobe, dont il n'a jamais renié les faits. Après 13 ans passés derrière les
barreaux, il sort enfin de prison.
Mais le père de Mathieu, est
retrouvé mort chez lui, et les soupçons se portent immédiatement sur ce fils,
sorti de prison la veille.
Des années de prison supportées notamment grâce à un atelier d’écriture animé par l’écrivain Cyril
Botin.
Cet écrivain, on va le comprendre
au fil de l’histoire notamment (P. 57) recherche en fait une idée pour nourrir son prochain livre. Il
est donc dépité lorsque l’un des participants lui annonce qu’il ne reviendra
pas, car « il ne veut pas reparler
de ce qu’il a fait, il veut juste oublier ! » Seul Mathieu s’investit
à fond.
Dans son journal, on distingue deux parties
différentes : en italique : la partie lue à voix haute pendant
l'atelier, ou divulguée seulement à l'animateur, et l'autre partie destinée à
lui-même.
Les extraits sont superbes, dignes et intenses, et expriment
bien toute la détresse du jeune homme.
Cerisol et les autres policiers travaillant sur
cette affaire, prendront finalement connaissance de ce journal, et découvriront
avec surprise, le cheminement
psychologique de Matthieu : son amertume, sa rancœur envers son père,
l'amour qu'il lui porte malgré tout, ses efforts pathétiques pour attirer son attention,
leur abyssale différence de perception de la vie.
Pour ma part, les fréquentes félicitations de Cyril Botin sur les qualités d'écriture du
journal de Mathieu, ressemblent à de l’auto congratulation, ce personnage m’a
paru douteux dès le début.
Dérangée aussi par sa façon ridicule de revêtir
un survêtement pour « se mettre
dans la peau » de son futur personnage : « d'extraction très
populaire, un peu façon actors studio, si vous voyez ce que je veux
dire » (pages 189 et 190). Puis, pages 196, 197,198 celle de fuir le regard du policier à la
question « Qu’y a-t-il dans le journal de M. Fabas que vous ne nous dites
pas ? », et sa gêne également à l’annonce du prélèvement de ses
empreintes digitales. Des doutes sur lui,
mais aucune preuve.
Il faudra toute la constance et persévérance de
Grospierre pour arriver à trouver la
faille chez l’écrivain et l’inculper. A partir de la page 249 plusieurs
explications d’événements se font jour.
La maladie de Patrick et Mathieu « cryptorchidie » opération
du père, mais pas proposée au fils. Révélation sur l’accident qui a été fatal à la mère de Mathieu etc… Le dénouement ne m'a pas surprise car il est amené,
par de subtils indices, mais horrifiée par la justification de l’écrivain :
« Je l’ai fait au nom de la littérature… ».
En résumé, le cœur et l'âme de ce roman, c'est la relation père-fils et toutes les
thématiques qui en découlent : l'éducation, la quête d'identité, la
virilité, les normes sociales, le regard sur les différences, lorsqu'on ne
ressemble pas à ses parents ou aux autres… C'est la collision de tous ces
thèmes qui permet de comprendre le pourquoi intime de Mathieu et les raisons du
passage à l'acte. Cela sert également à la résolution de l'enquête. Une fois
que le lecteur a compris qui était Mathieu, il sait s'il a pu tuer son père ou
pas.
Reste que ce roman noir porteur d'humanité et de lumière, oscillant entre force
et sensibilité, est remarquable, du très haut de gamme.
Il se lit facilement, il tient en haleine jusqu’à la fin.
Pour clôturer notre rencontre, Pierre a répondu aux diverses questions sur l'activité de "visiteur de prison. Quel débat intéressant !